mercredi 25 mars 2009

Quand le "dire" est Aimance

Que l’Aimance soit à l’horizon de ses livres, de son écriture et de sa vision du monde, Khatibi en est pleinement conscient. Dans son dernier recueil, intitulé AIMANCE, il déclarait :

            « L’Aimance, un simple nom commun ? Le prénom qu’une femme porterait à merveille ? Le mot d’un secret révélé par l’esprit de discernement et de sollicitude sur toute plage de désir ?

 J’appelle « aimance » cette langue d’amour qui affirme  une affinité plus active entre les êtres, qui puisse donner forme à leur affection mutuelle et à ses paradoxes : je suis convaincu qu’une telle  affinité est même de libérer entre les partenaires certains espace inhibé de jouissance. Un lieu de passage et de tolérance, un savoir vivre-ensemble entre genres, sensibilités et cultures diverses.

            L’Aimance ne se  substitue pas à l’amour en tant que mot et fragment du réel, elle le prolonge. En dégageant un lieu encore silencieux, elle  ne résout  aucune énigme ; elle en propose une autre, qui soit un dialogue plus sensible entre corps et esprit.

            Ce qui est commun à l’amour, à la haine et à leur instabilité, c’est notre aveuglement devant l’attrait de la souffrance. Son seul principe, principe d’incertitude qui régit le bonheur et la complexité d’aimer est de maintenir notre capacité d’entrer perpétuellement en aimance, à travers les déceptions mêmes et d’adoucir cette souffrance, grâce à l’expérience faite pensée. Prendre le risque de  savoir ce qu’on est entrain de vivre n’est en soi un surplus de désarroi.

L’aimance est incarnée, depuis toujours, dans la poésie qui est profondément affectée par certaine complaisance à la joie mélancolique et à l’amour impossible. Elle renvoie aussi à la belle et subtile tradition de l’amour courtois. Il s’agit de l’inventer de nouveau, sous le signe de la création et de la tolérance, sollicitant écrivains, artiste, penseurs, à un savoir vivre ensemble international tourné vers toute œuvre de civilisation.

            L’art ne justifie-t-il pas la vie ? »

Prière d’insérer, L’AIMANCE, édition  Almanar

                                                         

 Cet éloge de l’aimance, ou disons la séduction courtoise, considérée comme base susceptible d’engendrer du nouveau, ou même de fournir un modèle original de la vie. Cette idée  rejoint un peu la vision surréaliste du langage : détruire pour mieux construire, une construction originale qui échappe à l’emprise de la société.

 Cette conception des choses n’est pas limitée à un seul écrivain, mais c’était une préoccupation de toute une génération d’écrivains du XXe siècle : comment dire les choses autrement, comment échapper à l’idéologie, à la doxa comme il plait à Roland Barthes de l’appeler.

Peut on dire l’AIMANCE ? « On ne dira jamais le tout. » Mais qu’IL laisse entendre à travers toute son œuvre, dans une obsédante  continuité : cette part de silence et d’interdit, ce mépris de la parole vaine qui semble toujours attendre, comme l’hésitation ou le recueillement, avant d’énoncer : des textes d’une extrême tension, une écriture limite entre le questionnement de l’incertain et l’éclatement du vrai, entre l’absolu dépouillement et l’envahissement du désir, une prose hachée, travaillée désormais comme un scénario, fantasmagorique d’indications neutres, de dialogues plats, étrangement violents, parce que, épurés de tout bavardage, ils se vident jusqu’à l’essentiel.    

8 commentaires:

  1. Bel hommage à une belle écriture. Merci karimate de partager.
    Alain

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  2. Vidé je suis arrivé à l'essentiel qui est que l'ignare prétentieux que je figure ferait mieux d'aller se débusquer une cachette avant qu'il ne soit too late. Kalimate est arrivée !

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  3. Finalement , ami, vous me visitez dans mon pré, furtivement mais c'est une visite que j'espère sera fréquente.
    "Belle écriture" à qui le dites vous? une écriture qui se fait éclatement, luminescence je le cite
    «Alors, tout fut réinventé à partir de figures mythiques : Léna la Volante, Ulrika la Digitale et Alberto le Medium désenvoûté. Narrateur et traducteur, je m’incarne dans ces transfigurations : je parle et j’écris, je parle et je traduis, je raconte et je suis le scribe de mon histoire. Ce carré magique, cerné par un cercle, s’est-il donc fermé sur lui-même ? » (p.152) un été à stokholm
    n'est-il pas magique ce narrateur scribe de son histoire?

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  4. yugurta,c'est noble de ta part de te joindre à nous dans cet hommage, partage.
    figurte-toi, je n'ai su que trop tard que khatibi est décédé le 16/3/09.
    http://passouline.blog.lemonde.fr/2009/03/16/pour-saluer-khatibi/

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  5. Tu as apporté un vent nouveau à la blogoma de par ta prédisposition à comprendre et désarticuler les textes des grands auteurs-penseurs comme A. Khatibi.

    C'est ce que tu sais faire et cela me réjouit de passer par ici et apprendre des choses que j'ignorais ou que je sentais mais que je ne savais pas encore nommer, Kalimate.

    dima...abonné à l'Atelier

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  6. c'est une réelle joie que de t'avoir dima comme lecteur et commentateur de qualité,.. un brin protecteur (ça ne me déplait pas).

    mon bonheur c'est que mon cercle d'amis et mes lecteurs silencieux puissent avoir ne serait-ce qu'un petit aperçu sur la littérature marocaine d'expression française. un partage que j'espère fructueux. de ma part, j'en suis comblée.

    ps: la richesse de la blogoma réside dans la différence des blogs, chacun ajoute son zeste!

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  7. Un brin protecteur ? non juste un supporter qui t'encourage parce que tu le lui as demandé un jour ou une nuit...

    dima...Bodyguard

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  8. ah dima! si tous "les supporters" accourent au cris "au secours.."! mais le tout est dans le "juste". ;-)
    quand à dima ... bodyguard, je ne dirais pas non! waw, quelle chevalerie et amour courtois que de se sacrifier aux pieds d'une diva... j'ai adoré ce film là au temps de ma jeunesse... quoique j'en garde la nostalgie.

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