vendredi 21 août 2009

Le Rituel de l'attente.




Parait-il, j'ai un "moi" ! Ce qui n'est pas nécessairement faux. Mais cette révélation m'a incité à demander des explications. Devant deux sorbets de fruit, la rencontre ne peut être qu’heureuse et l'univers s'ouvre devant deux personnes sincères. J'oubliais la philosophie, la sociologie, la psychanalyse et toutes les doctrines. Dans les limbes de mon esprit, devant ces coupes glacées, l'espace m'offre la méditation spirituelle, le temps me pousse à réfléchir le jeun, l'appel du Muezzin, du haut du minaret de la Koutoubia _ que je contemplais en ce moment- là_ m'invite à penser prière... les idées fluaient et ma petite tête ne pouvait accueillir, cueillir que ce qu'elle pouvait contenir... une idée, par idée.
La réponse me vient un peu abracadabrante, cependant, elle éclaire ma chandelle et me fait remonter le temps...

Un moi "civilisationnel", ce qui fait de moi, une femme civilisée. Un casse tête que d'essayer de comprendre le comment et le pourquoi de cette formule, et donc je remonte le temps pour admirer notre civilisation, je parle de l'humanité bien sûr, car quand on cause civilisation, je me demande ce que je ferais sans mes cartes de crédit, mes fast food, mes boissons gazeuses, mes habits chics, mon fric..
Le hic qui m'empêche de continuer cette liste restreinte et pourtant exhaustive, c’est exactement le visage de l'attente qui se dessine sur les visages : artisans, vendeurs, et apprentis, tous attendent...

Je me demande d'où tirent-ils ce courage de rouvrir, étaler leurs marchandises comme selon un rituel, d'attendre toute la journée avant de réemballer leur marchandises et de fermer boutique... Le rituel de l’attente. Voilà ce que fait d'eux la civilisation, des "attendeurs" qui attendent interminablement un acheteur qui tarde à venir, ou qui passe, admire les ruelles décorées, cette exhibition de marchandise, au pire des cas prend des photos et continue sa promenade dans les souks, ses dédales, ses couleurs, ses odeurs, ses ornements folkloriques, son art du toc, son art authentique... Rien que pour cet effort, la mairie devrait leur attribuer un salaire. Tiens, quelle excellente idée que de payer ces gens qui égayent nos murs, et donnent une allure accueillante à notre ville. Il faut l’avouer, sans cet étalage de marchandise, ces couleurs chatoyantes, ces différentes senteurs que serait Marrakech ? Une ville éteinte certainement.

Un air triste se dégage de ma radio, 3ich anta … inni mitou ba3dak, la belle voix de Farid Latrach m’accompagne dans cette remontée du temps, sonder le passé pour mieux comprendre le présent.
Remonter le temps jusqu'à Labruyère, puis lire Ses Caractères et admirer la civilisation, les hommes et le labeur. Je me sens une âme généreuse, et donc je partage avec vous ce texte satirique qui me fait horreur, que j'admire, qui me révolte parfois me met en pleurs tellement pour moi le temps n’a pas avancé et ce sont toujours les mêmes images que je continue de voir ou percevoir. Voir nécessite un regard objectif, percevoir, cependant, suppose concevoir, car c’est s’efforcer de distinguer, de se représenter le monde visible et invisible…

De l’homme,128ième fragment :

« L’on voit certains animaux farouches, des mâles et des femelles, répandus par la campagne, noirs, livides et tout brûlés du soleil, attachés à la terre qu’ils fouillent et qu’ils remuent avec une opiniâtreté invincible ; ils ont comme une voix articulée, et quand ils se lèvent sur leurs pieds, ils montrent une face humaine, et en effet, ils sont des hommes. Il se retirent la nuit dans des tanières, où ils vivent de pain noir, d’eau et de racines, ils épargnent aux autres hommes la peine de semer, de labourer et de recueillir pour vivre, et méritent ainsi de ne pas manquer de ce pain qu’ils ont semé. »

Le message que véhicule ce texte : il y a une frontière floue entre l’animal et l’humain. Message implicite : il y a des hommes qui vivent comme des animaux et ce n’est pas normal. Une humanité non équivoque, la misère, un déséquilibre entre le faire et l’avoir, pour aboutir à une nouvelle isotopie : le droit, l’injustice.

Où est mon "moi" civilisationnel entre la théorie de Freud sur l’inconscient et celle de Marx sur la société (l’idéologie) ?

NB : le Moi est l’instance médiatrice, sans cesse défensive occupée à protéger le sujet contre ses trois maîtres : le monde extérieur (l’homme dans la nature), le ça (besoin et habitudes prénatales), et le sur moi (la culture).

12 commentaires:

  1. On dirait que cette réflexion profonde a une racine aux abords de jamaa lefna :)

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  2. Kali, ces sorbets m'inspirent une pensée pour les artisans d'antan, dignes et respectés, auxquels se sont substitués, à défaut de relève, des apprentis commerçant dans le toc et l'estocade de clients de plus en plus avertis.
    La qualité, chère certes mais légitime, a déserté les étals au profit de colifichets tout juste bons à faire "comme si".
    Je me souviens de cette cité, Marrakech La Noble, dispensatrice de charmes que je croyais éternels tellement la femme,l'homme et l'enfant y étaient aériens et spontanés.
    J'ai assisté à la mercantilisation de la ville ocre par les ogres de l'urbain...
    Sans bouger un doigt car on ne peut être sur tous les fronts de cette vague d'assassinats civilisationnels qui a déferlé sur Le Royaume.
    Ton texte est pénétrant, l'attente s'y pèse en siècles, mais l'histoire ne retiendra qu'une chose : l'homme/femme n'attendent qu'une occasion pour être animés par leurs bas instincts et ce ne sont pas les "excuses" qui leur manquent...
    J'appelle cela, pour rejoindre ta perception, "les pesanteurs du moi".
    Petite info pour éclairer le décor :
    Partout, y compris au Québec, les citadins redécouvrent leur fibre artisanne et ouvrent des échoppes virtuelles sur le net pour y écouler leurs objets.
    Absorbés que la plupart d'entre nous sommes par notre "fibre partisanne", nous restons sur le quai des civilisations successives, tellement longtemps que nous y plantons nos tentes en gentils adeptes du culte et du "rituel de l'attente".
    Compliments d'avoir su planter un clou au centre du tapis turc.

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  3. Mon clou yuggy c'est "Mesmar Jha" si tu connais la fable.bienvenu mon cher ami au culte du rituel de l'attente.
    je profite de ce moment pour te souhaiter un joyeux anniversaire, de l'harmonie familiale et le bonheur.
    longue vie au Lion de Tafraoute.

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  4. Et Hamid Zahir dans tout çà?
    ila chefto lehbib
    gouloulou itaala...

    http://www.youtube.com/watch?v=h-Gn6bAOYA8&feature=related

    Je n’au qu’un seul et unique moi
    Mon moi ne connait pas Freud, et nargue les lois de la psychologie

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  5. Tu soulèves là, kali, un problème existentiel. L'homme primitif n'attendait pas, il puisait ses ressources de vie de son milieu naturel qui lui permettait cueillette, pèche, chasse... la civilisation s'est révélée boiteuse et ses « bienfaits » ont profité à une minorité ( qui peut être fière de son moi) au détriment d'une majorité qui attend. La civilisation a aseptisé le milieu naturel par la progression démesuré du béton et de l'asphalte, a pollué terres,airs et mers dans une course effrénée pour toujours plus de profit aux nouveaux dieux cyniques qui détiennent le pouvoir et la richesse.
    Cette civilisation est une erreur en ce sens qu'elle dégrade le milieu naturel, réchauffe la planète et promet plus de pauvreté et de guerres et hypothèque même l'avenir de la vie sur terre.

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  6. Oui,Mounir, il parait que tu connais le coin maintenant!

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  7. Le Mythe, Hamid zahir, restera toujours une grande icône Merrakchie, nous en sommes fiers.
    Quant au moi du Mythe, il ne peut être qu'antérieur à toute théorie psychologique, normal, il est légendaire.

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  8. MG, que puis-je dire pour répondre à des paroles sages? Absolument rien. sois le biennvenu au clan des anti civilisation débridante, pervertissante, degradante.
    Actuellement, le gouvernement a pris conscience de la gravité de la situation et donc déploie des mesures pour créer des villes écologiques, plus proches de la nature, la question est, selon quels critères les habitants seront-ils choisis?

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  9. Tu ne peux pas cesser une minute, admirer le paysage, savourer ta glace et rentrer chez toi heureuse?
    et bien, non, tu ne serais pas kalimate si tu ne sentais pas la douleur de ceux qui ne peuvent se payer un sorbet, qui ont d'autres préoccupations en plus de celles gastronomiques...
    reste comme tu es, surtout ne change pas belle fleur bleue au cœur sur la main!
    Youssef, ton ami.

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  10. la fleur bleue, a le coeur sur la main c'est vrai, mais n'est pas naïve pour autant. C'est vrai, il est nécessaire d'aider ces gens qui font le spectacle sur jamaä lefna, lehlayqiya, oui il faut les aider au lieu de privilégier la culture bucco-anale, il faut privilégier la culture orale, celle qui constitue le pouls de la place. les conteurs, gnawa, et autres.

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  11. un salaire peut changer le rêve d'une personne,
    il peut développer une existence,comme il peut
    la détruire.le moi civilisationnel, doit doit
    garder les secrets de son image.
    ces visages, n'attendent que votre passage,votre
    présence d’où leur joie est extrême!

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  12. Salah, ils comptent aussi sur notre générosité. Sinon, comment peuvent ils subvenir à leur besoin avec l'aide minuscule de la mairie?

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