dimanche 12 avril 2009

Marrakech...regard exotique?


Elias CANETTI, Les voix de Marrakech, (Londres, 1967), Albin Michel, 1980, pour la traduction française.

Traduit de l’allemand par François PONTHIER, le livre est présenté comme un journal de voyage dédié par l’auteur à Veza Canetti. Sur la quatrième couverture, une prière  d’insérer renferme ceci :

« D’un séjour à Marrakech en 1953, Elias Canetti enregistre d’abord les voix, les bruits, des gestes et des images. Et, imperceptiblement, par le jeu d’une simple et grave précision dans la relation des faits, ce récit de voyage devient aussi, au sens le plus strict et le plus concret du terme, un récit philosophique… »

 

Dès l’ouverture du texte et au fil de la lecture des quatorze chapitres ou micro récits, une impression générale  d’exotisme se dégage de ce récit qui se veut une réflexion philosophique. C’est, à mon avis, une approche anthropologique de l’Autre  sous forme romancée, vu les moyens utilisés pour représenter l’autre dans sa différence.

En effet, faire recours à la voix  comme moyen d’exploration de l’autre, signe dont l’auteur ignore le signifié, relève de la gageure. Le regard, l’observation, ici sont de mise. Un regard posé sur la ville, regards souvent croisés de par et d’autres. La ville est disséquée, observée, analysée et même interprétée selon une sensibilité et un sens humain hors pair qui relève de la grandeur de l’homme en face des misères auxquelles il ne peut rien, une indifférence feinte, peut-être, et un pincement au cœur.

 

Dans une description fine, la beauté de la ville est tracée par le narrateur qui se fait découvreur doublé d’un philosophe. A travers sa quête des méharis vis-à-vis de ces animaux exceptionnels et du sort qui leur est réservé, nous découvrons une sensibilité très prononcée du narrateur.

Après une quête effrénée des chameaux, il y eut rencontre, enfin, mais hélas qui  fut soldée par une séparation dans le mutisme. L’éloignement et le silence prennent place et le narrateur semble s’intéresser à d’autres aspects de la belle ville rouge.

L’odeur agréable des épices interpelle autant que les couleurs ou les objets exposés. Exhibition orgueilleuse de marchandises, une société qui fait montre  de son pouvoir de production, « cette fierté naïve ». Le fait que les objets soient fabriqués par la main de l’homme leurs procurent une  dignité étonnante, le narrateur ne peux que méditer  sans comprendre cette «  société aussi secrète, qui cache jalousement aux étrangers l’intérieur de ses maisons, le corps et le visage de ses femmes… », mais qui expose, livre presque, le processus de fabrication, son savoir.  Ce chapitre, sur les souks et la marchandise renferme l’un  des plus beau texte de ce livre.

 

Bien sur, on arrive à la scène avec les mendiants, la répétition de ce cri, toujours le même, ce cri au nom d’Allah, un défi « effrayant ». Sa répétition régulière et rapide en fait un groupe, une vie réduite à la répétition jusqu’à ce que ces aveugles incarnent «  le saint de la Répétition ». Entre répétition et différence, et même pareil au même, se termine  «  le cri des aveugle ». Quoi  de plus naturel que de parler de mendicité dans un pays où elle s’organise en foi et profession !

 «  Le marabout » en est une autre forme qui fascine par sa beauté et aussi par sa laideur, les mendiants juifs : impulsifs, vieux et coléreux, cependant le narrateur ne leur tient pas rancœur, leur misère l’a touché profondément. La horde des  petits  mendiants, encore et encore à croire que c’est une ville peuplée de mendiants.

 

      Dans ce récit  de voyage tout est examiné selon le même regard exotique. L’exotisme se dévoile à travers l’architecture des maisons, des minarets,  des quartiers, des ruelles et placettes, des boutiques, parfois même des visages , des conteurs et écrivains publiques, de la fascination pour « ces écrivains accomplies » : qui réussissent  à faire régner le silence sur une place qui recèle de  tant de voix !. La femme n’échappe pas à cette représentation exotique, d’abord, elle le fascine par sa voix, mais le reste  de cette confrontation ne sort  pas du cadre du  stéréotype littéraire.

 

       Toutes les figures de cette ville ont été invoquées, répertoriées : des indigènes en passant par les mendiants, les juifs, sans oublier les étrangers qui souvent ont été objet de mépris à titre d’exemple le français propriétaire du restaurant.

Dans  Les voix de Marrakech, ce qui nous saisit  et qui nous laisse sans voix ,ce  sont ces figures éparpillées, diffractées de  l’autre qui sans cesse se déforment, se métamorphosent, s’éludent, se démentent, se défilent. Ces figures sont multiples, diversifiées. Elles ne peuvent être additionnées, résumées. Certaines d’entre elles peuvent être repérées et d’autres restent invisibles, indicibles, presque inaudibles. Une existence_ si on peut appeler « ça » une existence_ qui se résume en un amas brun, sans voix, juste un son, un « cri » :

 

 «  Au crépuscule, je me rendis sur la  grande place au centre de la ville et ce que j’y cherchais n’était ni son pittoresque ni son agitation que je connaissais déjà bien. J’étais à la recherche d’un amas brun sur le sol, qui n’avait même pas de voix et qui n’émettait qu’un seul son. Un profond, un interminable murmure « ä-ä-ä- »… il distillait son unique son, pendant des heures et des heures, jusqu’à ce qu’il devint sur cette immense place, le seul son, le son qui survivrait à tous les autres. » (p 121-122 »


34 commentaires:

  1. Merci Kalimate pour cette belle intro. J'ignorais que Canetti etait passe par le Maroc. J avais lu il y a quelques annees Notes de Hamstead de lui, griffonne a chaque page par d'autres notes de mon frere. Je me souviens que je l'ouvrais tres souvent pour lire quelques passages au hasard et me laisser emporter par ses kalimates

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  2. Je vois que tu es un Kalimero de "parole". ravie qu'on partage aussi les mêmes lectures. un petit livre, un petit prix et pourtant quel enseignement. parfois je me perd volontairement dans les ruelles de la ville ancienne, je me laisse entraîner par le flux de la foule, sentir tous ceux qui sont passés par là, je n'entend que la voix des lieux percutant celle de mes pensées...
    merci

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    1. Salut je vous demande si vous avez des documents concernant ce récit de voyage qui est les voix de Marrakech et merci.

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    2. Bonjour! désolée, je n'en ai pas. c'est ma propre lecture un peu "résumée" http://kalimate-aeriennes.blogspot.com/2009/11/representation-et-stereotypes-excipit.html".

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  3. Loin de moi toute idée de rompre l'harmonie de la mélodie marrakchia, créature à sens unique que je suis, l'image qui s'impose à moi est la senteur voluptueusement pénétrante du crotin des chevaux attelés aux carosses...

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  4. Mourir de riiire! "illa bgha azzine ysber ltqib loudnine".
    ça fait partie du cadre féerique de la belle ville, la charmante, la chaleureuse Marrakech. comme il y a certaine incommodités qui gênent les petits êtres (barométriques) et fragiles à l'odorat sensible .
    Je me demande comment ils supportent leur propre fragrance?

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  5. Je n'ai pas lu ce texte qui a l'air merveilleux... je vais le mettre sur ma liste des livres à lire absolument...
    Je me reconnais dans pas mal d'idées et notamment dans la découverte d'une ville au travers des habitants, des gens de passage...
    Une fois que les monuments, les lieux sont inscrits dans la mémoire, les seules choses qui restent insaisissables sont les humains... ils changent, ils évoluent et sont difficiles à garder figer en mémoire.

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  6. Un de mes chers professeurs et Maîtres nous disait que tout savoir est périssable.heureusement ou malheureusement, je ne saurais trancher? Des parfois j'ai envie de tt oublier , d'autres je désire fixer le temps, tout garder jalousement...
    L'expérience de la lecture est pareille, on "vampirise" les textes, on suce leur sang, et parfois on ne sort pas indemne de cette expérience: les pensées des autres nous habitent, nous possèdent et on s'en sépare parfois à travers le processus de l'écriture...
    voilà Doudou, tu es contaminée par "Mes" voix de Marrakech. au plaisir de te lire.

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  7. chui un peu comme Yug...un peu décu lors de mon dernier passage à marrakech. je n'y ai pas retrouvé cette magie d'antan...

    Holy night me dit-elle. J’aurais eu presque envie de chanter « quand passent les calèches… » mais la cigogne est en rade sur le grand rocher des Rhamna. Le bec, tout comme le rêve, est cassé…dilué, l’ocre fait dans le sale comme l’os dans la moelle où je suis chien sans tiques et malsain, rongeant au détour d’une ruelle un reste de souvenir comme la nostalgie ronge le présent . J’ai pourtant longtemps loué la voix d’octobre de la ville au regard d‘automne que je ne retrouve plus.
    Le Toubkal semble avoir fermé un œil que mille et un mendiant se partagent d’un regard concupiscent… et l’ocre se fait terne sur l’asphalte nauséabond où j’ai encore versé une larme à l’agonie de mon pays où danse le serpent….


    kb…qui témoigne

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  8. C'est que j'aime ça, moi, le parfum du crotin !
    Ma fragrance ? Prête moi un nez qu'on en juge.

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  9. @kb: Malgre la noirceur et le cri de desespoir qu'on ressent à lire ton texte, je le trouve tres poetique et merite une plus large diffusion.

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  10. Kb, il serait vain de dénombrer les déceptions, les peines, les douleurs vives quotidiennes. les beaux matins "d'octobre" éludent les aubes grises de mars même si les jours se suivent, la brume appelle la brume et le soleil de tes souvenirs ne vient pas!
    Il faut avoir mes yeux pour la voir
    il faut avoir mes sens pour la sentir
    il faut apprendre à ne voir que ce qui enchante
    il faut, il faut, il faut... avoir mon coeur
    avoir la foi en un lendemain meilleur
    si la cigogne n'y est pas, sa trace demeure "fouq sour"
    Khalid, j'aime la passion dont tu t'appropries le lieu "de mon pays où danse le serpent", le reste est absolument sublime. merci

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  11. yuggy, j'aime te taquiner, mais te prêter mon nez jamais!
    sais-tu que j'ai l'odorat très fin et j'en souffre le martyre, parfois j'attrape des migraines atroces à cause de cette bénédiction.
    Et puis,dis moi, je te soupsonne de collectionner les "nez". j'ai un nez de Cléopatre, et Abu lhoul est sans "nez", ça "sent" l'anguille sous roche.

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  12. Tout à fait de ton avis kaliméro, quand KB le veut, il transcende la noirceur la plus sombre... son verbe se fait éclatement, ses accents des fouets...
    je t'invite à déguster son silence: http://www.kbaratinage.com/?p=477

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  13. salam..ben c'est bien encore moi:Sabah K..si vous vous souvenez encore de moi.dans tout les cas j me presente j'étais votre éléve en baccalaureat l'année précédante...peu importe...jai pris contact evec vous,dans le cadre d'échange d'idées au niveau de la pédagogie,et comme j'apprécie votre maniére de concevoir les choses...ben j te propose une activité bien commode,bien intéressante,à exploiter lors des activités orales comme prévu..ben c'est lactivité du Dèbat..cette maniére de communication aussi primordiale...
    autour d'un thème, d'une chanson, d'un sujet. c'est ce qu'on fait ici à la fac.

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  14. On partage donc "la bénédiction" de sens olfactifs outrageusement(tout est relatif)réceptifs.
    C'est le thème que j'aborde dans mes réflexions actefactuelles, prisonnières pour l'instant d'un titre évocateur " L'égouïste".

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  15. sabouha, comment ne pas me rappeler de toi? contente que tu aies gardé la passion du savoir.
    hé hé! je pense que je garderais pour le moment mes méthodes: lire, lire et faire lire les oeuvres au programme... sourire.

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  16. yuggy, que "l'égoïste" triomphe dans un geste libérateur de ta prison idéelle!
    J'espère que ce n'est pas autour d'intrigue et de commérage de hommes mûrs aigris.
    mon next billet sera autour de "moukhtafoune"...je cherche mon ami dima.

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  17. Je vois que tu es comme moi... certaines fois j'ai un stylo à la main quand je lis pour noter sur un cahier d'écolier tous les passages que j'aime... hier je suis tombée sur un livre où j'avais envie de tout copier... les mots me parlaient tellement...

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  18. Doudou : attention il ne faut pas plagier :) sincèrement j'ai plus marrakech car elle me vois plus , elle fait les beaux yeux aux étrangers !!

    agharass, melomane et raciste:D

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  19. mon commentaire est encore sous modration j'espere ;)

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  20. une bonne bénédiction Doudou.j'ai une autre technique, je notais sur des fiches que j'attachais au livre, et toujours ce sont les premières impressions qui sont les bonnes.

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  21. agharasse, agharass! bienvenu tout d'abord.
    il ne s'agit pas de plagier, c'est noter des mots, des phrases qui nous interpellent ou mieux noter nos impressions.

    si j'ai bien compris, le charme est brisé entre toi et Marrakech? et bien mon cher permet moi de te dire que Marrakech est accusée à tort, les touristes, les étrangers sont nécessaires pour promouvoir l'économie... toi aussi tu es nécessaire.

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  22. Je suis allée sur le blog de KB.. bon conseil.. je dois encore prendre le temps de l'explorer un peu. Mais il a un style intéressant... presque des charades à débusquer.
    Qu'est ce que tu lis en ce moment. Suis curieuse.

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  23. @ KALIMATE : je sais :) on peut plus rigoler ? Non c'est tout a fait un honneur d'etre pami vous :)
    ma3lioum mra7ba biya :)

    J'ai refait une histoire avec Tiznite, tafraoute, ait manssour //// des villes ; des villages qui sont encore loin des semssara

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  24. à part les copies des élèves...( mourir de rire)c'est la période des examens.

    Phantasia de Abdelwahab Meddeb. et un casse tête
    "Les sept savoirs nécessaires à l'éducation du futur" Edgar Morin.

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  25. Sud mon beau Sud authentique, aride et pur! tu as beaucoup de chance.
    il me vient en tête le dernier roman (conte) de feu Mohammed KHireddine, "Il était une fois un vieux couple heureux".

    ps: Doudou, n'oublie pas yugurta.net, c'est un sacré spécimen

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  26. Je te lis ma grande, je te lis...

    Et je te confirme les "dire" de la nymphe : "Nous sommes des etres de fuite" :)

    dima...Futur Hybernant

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  27. Que m'importe que tu me lises, je me suis habituée à te lire dima, ne manque pas à l'appel s'il te plait... ta présence me réconforte ami de l'espoir.

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  28. @Aghrass.. je n'arrive pas à m'en empêcher car c'est tellement bien écrit...
    Marrakech reste un belle ville et puis on va arrêter de rejeter tous nos maux sur les autres...agissons agissons mon cher ami..
    @Kalimate: ça doit être drôle les copies d'examens... ils doivent vous en apprendre des choses vos éléves

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  29. Doudou, cette année "ihsen 3wani, j'ai des premières années Lettres... ils m'apprennent "nada" sans titre à la kaliméro.
    rires.
    je les aime bien ces enfants et ils me le rendent à leur manière: ils n'aiment pas me décevoir.

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  30. @ Doudou : j'accuse personne ! j'ai juste dit que la nouvelle riche 'Marrakech' n'est plus dans mon cœur !! avouez que la ville n'est plus pour les pauvres et c'est déja un bon départ :)

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  31. Je refuse que l'on utilise kalimero comme sujet de plaisanterie et de rires "c'est trop injuste" :-)

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  32. c'était un héros à sa manière kaliméro.

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