jeudi 7 mai 2009

Quand l'écriture rime avec plaisir et apprentissage.

 Musique, peinture de Wiliam Turner

   Mon rapport avec les belles lettres ne date pas d'aujourd'hui, c'est un long parcours passionné et passionnant. Le texte que j'ai prévu de partager avec vous ce soir est extrait d'une oeuvre foisonnante, un traité sur l'art, A la recherche du temps perdu a marqué ma vie à jamais . Ce fut un rapport  ambigu: de doute et de certitude, un doux ravissement  et une tumultueuse passion. Foudroyée. Tomber amoureuse d'une écriture? Oui, je l'avoue passionnément. et depuis, toutes mes réponses (presque) je les cherche dans les livres.
Les réponses que donne l'art, ni la science ni la philosophie ne peuvent donner. L'art est une réponse. l'art est un problème. Chaque artiste ne donne que les graines de la réalité. c'est le cloisonnement des univers qui ne  communiquent pas... La vie n'est qu'artifice. L'art est aussi irréel que la vie.

                                                                                                           
 
 "...A mieux connaître ce septuor, je ne le pouvais penser. Sans doute le rougeoyant septuor différait singulièrement de la blanche sonate...
La timide interrogation à laquelle répondait la petite phrase, de la supplication haletante pour trouver l'accomplissement de l'étrange promesse qui avait retenti, si aigre, si surnaturelle, si brève, faisant vibrer la rougeur encore inerte du ciel matinal au dessus de la mer. Et pourtant, ces phrases si différentes étaient faites des mêmes éléments, car de même qu'il y avait un certain univers perceptible pour nous en ces parcelles dispersées ça et là, dans telles demeures,tels musées, et qui étaient l'univers d'Elstir celui qu'il voyait, celui où il vivait, de même la musique de Vinteuil étendait note par note, touche par touche, les colorations inconnues, inestimables d'un univers insoupçonné, fragmenté par les lacunes que laissaient entre elles les auditions de son oeuvre; ces deux interrogations si dissemblables qui commandaient le mouvement si différent de la sonate et du septuor, l'une brisant en court appel une ligne continue et pure, l'autre ressoudant en une armature indivisible des fragments épars, l'une si calme et timide, presque détachée et comme philosophique, l'autre si pressante, anxieuse,implorante, c'était pourtant une même prière jaillit devant levers de soleils intérieurs, et seulement réfracté à travers les milieux différents de pensée autre, de recherche d'art, en progrès au cours d'année où il a voulu créer quelque chose de nouveau. Prière, espérance, qui étaient au fond la même, reconnaissable sous ses déguisements dans les divers oeuvres de Vinteuil, et d'autre part où on ne trouvait que les oeuvres de vinteuil...
...Ces phrases-là, les musiciens pourraient bien trouver leur apparentement, leur généalogie dans les oeuvres d'autres grands musiciens mais seulement pour des raisons accessoires, les ressemblances extérieures, des analogies plutôt ingénieusement trouvées par le raisonnement que senties par l' impression directe. Celle que donnaient ces phrases de Vinteuil étaient différentes de toutes autres, comme si en dépit des conclusions qui semblent se dégager de la science, l'individuel existait. Et c'était quand il cherchait puissamment à être nouveau, qu'on reconnaissait , sous les différences apparentes les similitudes profondes et les ressemblances voulues qu'il y avait au sein d'une même oeuvre quand Vinteuil reprenait à maintes reprises une même phrase, la diversifier, s'amuser à changer son rythme, à la faire reparaître sous sa forme première. Ces ressemblances-là voulues oeuvre de l'intelligence, forcément superficielle, n'arrivaient jamais à être aussi frappantes que ces ressemblances dissimulées, involontaires qui éclataient sous des couleurs différentes  entre les deux chefs d'oeuvre distincts; car Vinteuil cherchant puissamment à être nouveau s'interrogeait lui-même, de toute la puissance de son effort créateur atteignait sa propre essence à ces profondeurs où quelques questions qu'on lui pose, c'est du même accent, cet accent de Vinteuil, séparé de l'accent des autres musiciens par une différence bien plus grande que celle que nous percevons entre la voix de deux personnes, même entre le beuglement et le cris de deux espèces animales, une véritable différence, celle qu'il y avait entre la pensée d'un tel musicien et les éternelles investigations de Vinteuil, la question qu'il se posa sous tant de formes,  son habituelle spéculation, mais aussi débarrassée des formes analytiques du raisonnement que si elle s'était exercée dans le monde des anges, de sorte que nous pouvons en mesurer la profondeur mais pas plus la traduire en langage humain que ne le peuvent les esprits désincarnés quand, évoqué par un médium, celui-ci les interroge sur les secrets de la mort." 
Extrait de Du côté de chez  Swann, Marcel Proust, A la recherche du temps perdu.

Ce qui saute c'est le raisonnement, la sensation directe... La sensibilité en tant qu'exercice sauvage...
 

11 commentaires:

  1. Au fil du XXe siècle, l'univers de la Recherche a fait l'objet de lectures de plus en plus passionnées.Ton extrait me rappelle bien des passions. Je trouve que ton blog est bien littéraire.
    Bon vent kalimate,
    ton ami Youssef

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  2. Entre son de paroles et chant des sens, le sifflement s'esquisse, sourire en tremolo se lovant en mon ouïe comme la lune se lève... pleine et entière.
    Kali, le son sifflé se pare de couleurs ondoyantes et fertiles.
    Ton texte est une réconciliation avec l'univers des mots.

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  3. Ravie de te lire Youssef passionnément(sourire).
    je ne prétends pas avoir des dons littéraires ni être écrivaine, tu me connais trop bien, c'est venu comme cela, une manière de m'occuper utilement .
    reviens quand tu le peux cher.

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  4. Je n'aime pas trop m'attacher aux personnes, même virtuelles, mais tu as fini par te loger dans mon espace... tes commentaires piquants et bien savants m'ont manqué... tu sais ressortir le meilleur de moi même.
    bon retour youggy.

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  5. toujours un plaisir de te lire. L'art est la vie.
    Freud aurait dit: " L'art forme un royaume intermediaire entre une realite qui ne repond pas à nos souhaits et une vie imaginaire qui les accomplit" à méditer .. Merci Kalimate

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  6. Allah 3alik kaliméro!
    Freud à méditer? tu me prends pour Flow???
    La correction des copies et l'angoisse des exams, des élèves a sapé ce que j'ai comme réservoir...
    Je suis au bout de mes kalimates... en attendant des jours meilleurs.
    pense à créer un post qui me rende mon rire que j'ai enterré sur "la querelle des oiseaux"...ce qui reste de ce "mourir de rire" s'éteint à "mourir"... à méditer!
    merci d'être passé.

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  7. Personnellement, je te préfère en spontanée, j’attache plus d’importance à tes propres réponses qu’à des réponses cherchés dans les livres.
    J’avoue ne pas saisir ton sujet sur l’art, de deux choses l’une
    Ou bien c’est la fatigue qui me ronge, ou bien c’est le syndrome persil-coriandre qui se manifeste

    Peu import le style de l’écriture du moment que nous communiquâmes
    Toi vouloir comprendre moi
    Le mythe
    Le francé

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  8. Moi essayer comprendre toi (sourire). en peu de mots, voici les mots clefs:
    entre ressemblance et différence
    entre différence et répétition
    entre sensibilité et sensation
    entre subjectivité(l'individuel) etla profondeur
    entre contrainte et contrariété...
    j'espère que la maghribia a un peu mis le "francé" sur la voie du texte!
    merci de réagir et de me faire réagir.

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  9. Que personne ne bouge!
    Les membres de l'organisation Dakchi ont entrepris une attaque sur le blog de Kalimate. Rassurez vous, c'est une attaque d'appreciation, d'amitie et soutien ... et vive la non violence ...

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  10. sourire! manif de liberté yak?

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  11. Quel talent !! Quelle perspicacité !! ce que je lis me fait plaisir de savoir que chez nous , au Maroc , il y a des belles plumes qui savent ensorceler , il y a de beaux esprits qui savent raisonner et résonner .Kalimate est amoureuse de son blog , elle le soigne , elle le dorlote à coups de beauté . Elle sait interesser . Lire Kalimate n'est nullement une perte de temps . Bien au contraire , c'est une partie édifiante et de plaisir en plus .

    Mohammed

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