lundi 8 juin 2009

Un passager de l'occident...ou l'éternel errant...

L’homme maghrébin, comme le cavalier « déshérité » ou comme le héros de Cervantès, le conte De La Mancha, ce cavalier menant une errance délirante où il combat des ennemis invisibles, cet « héraut » selon l’expression de Farès poursuit sa recherche de valeurs dans son univers où se télescopent les influences et les courants les plus contradictoires.

Dans ce roman où les histoires internationales, humanitaires, parfois même faisant référence aux mythes « androgyne », la tour de Babel (une bouillie de langues), les itinéraires de plusieurs héros s’entrecoupent, des quêtes de bonheur entre ciel et terre, des descentes aux Enfers, au-delà de la mémoire « les périmètres désertiques vacillèrent vers la mélancolie d’un autre âge. Eurydice se souvint d’amour, d’espoir, avalés à grand souffle… « Tristessa… » Conchita écoute. Je la regarde, et telle Eurydice, au-devant d’Orphée, elle me guida vers la mort.

Quelques jours plus tard je bombardais Conchita de questions, et prévoyais un départ au plus loin de la terre » .

« Un départ au plus loin de la terre » ainsi se clos la quatrième séquence « A la Romance » et s’ouvre l’errance physique de Brandy Fax et Conchita à travers l’Espagne, un voyage au bout de la nuit. C’est sur cette nuit que ce roman nous interroge, sur le doute et sur la peur qu’on tente d’exorciser en les nommant. Et l’errance dans la noirceur de nous même, dont nous voudrions tirer une lumière, ce voyage au bout de la nuit que l’homme essaie d’effectuer, la trajectoire de sa pensée, la quête de sa méditation, se dessinent aux contours d’ images qui pourraient dire le parcours de son voyage intérieur. Ce voyage au non de l’amour qui est vie, sous le signe du mouvement qui est encore un paramètre essentiel de la vie. Au nom de l’écriture et en faveur de l’appel des origines. Il est curieux de noter ici comment Brandy Fax définit Conchita Lopez, sa compagne de voyage « qui est Conchita ? Merveille de pouvoir répondre à cette question. Car Conchita appartient au voyage du corps et de l’esprit. Ainsi est-elle ! »

Dans ce roman animé du souffle de l’aventure, il est principalement question du passé, qui relie les personnages dans une histoire individuelle et collective : souvenirs d’enfance fédérateur d’une parole commune, tragédies portées par des mémoires encore fraîches mais ce n’est pas une analyse ou un procès de l’écriture qui dit du temps mais plutôt l’étude du destin que le héros s’est choisi qui aide à repérer les idées latentes du récit. Une errance qui force la mémoire pour opérer la résurrection du passé.

Promenade au travers de l’enfance, des pays proches et lointains, des lieux de rencontre et de séparation. Le roman retrace les événements qui ont bouleversé l’enfance et la jeunesse. Voyageur impénitent, le héros avance à « pas » de poésie dans l’herbe du souvenir. Son passé le rattrapera sans cesse afin qu’il n’oublie jamais ses origines kabyles, afro-américaine ou espagnole. Tourmenté par ce lourd passé, ces voyages en France voire même en occident sont autant d’étapes vers la sagesse qui secondent son passage au monde, à la manière des récits initiatiques.

Pour échapper à ses souvenirs, il devra quitter sa ville, sa famille, une certaine identité, à la recherche de sa vérité qui est contre culture et contre pouvoir. Ses idées le mèneront de l’autre côté de la méditerranée, vers ce pays qui le fascine, dans une tragique épopée où il sera confronté à bien des aventures mais aussi à l’horreur du racisme et de l’exclusion.

Face à la déterritorialisation, l’écriture vient comme une blessure car c’est une tentative de reterritorialisation symbolique à base d’archétypes, de sexe, de sang et de mort. Pour Nabile Farès c’est aller vers « le maximum de sobriété, le maximum de pauvreté ; vers l’écriture « blanche » ou le degré zéro de l’écriture _ celle de Boujedra des poèmes de Dib, ou celle des romans de M. Mammeri ». Car si dans ces moments « romancériens », écrit Farès, j’apparais comme un zéro qui vadrouille, je dois dire que la vadrouille de ce zéro semble mystérieusement active. Il suffirait qu’un événement provoque l’activité de ce zéro pour que, immédiatement, surgisse la multiplication des capacités du zéro » (p 59)

Véritable voyage initiatique_ dans le sens psychologique du terme (initiation à la mort) _ à la saveur d’exotisme et de rêve, les aventures du héros l’entraînent dans une errance perpétuelle. Sur sa route, il rencontre des personnages qui enrichissent chaque épisode d’une dimension quasi-philosophique. Grâce au mouvement, le héros est dans une autonomie, il est dans sa propre identité : absence de pôles. Le héros se divinise car il n’est plus dans un rapport de dépendance, il a compris le mouvement idéologique esclavagiste. Le héros est lui-même dans cet ailleurs qui n’est pas espace de fixité, mais théâtre de passage, de séjours brefs, de renouvellement. Il s’inscrit dans la brièveté, dans la transition et dans l’errance éternelle car « un passager » est à la recherche d’un récit et le récit vient comme fruit du mouvement qui est une possibilité d’être, comme l’écriture est elle-même rythme. Le héros de Nabile Fares s’inscrit dans l’errance moderne, un héros problématique forcément du moment qu’il a choisi l’exil comme lieu d’ancrage d’un futur meilleur. Mais cet idéal est vite effrité face à la réalité de cette terre d’exil : un rêve qui se solde par la déception et l’échec.

La quête continue forcément, car cet idéal qui l’érige est lui-même mouvement et catalyseur de la quête. Or la quête ne peut pas s’arrêter et ce n’est pas tant que parce que le héros voyage dans le monde et ne trouve rien qui correspond à ce qu’il cherche. Mais parce qu’en même temps, et surtout, que ce voyage en apparence extérieur (dans la réalité du monde) est surtout une métaphore d’un voyage beaucoup plus essentiel, primordial, qui est un voyage en soi (voyage intérieur), voyage de la connaissance de soi en soi.


16 commentaires:

  1. la terre des hommes
    la terre des êtres vivants
    L'instinct de conservation qui guide transhumance et migration
    Ériger des barrières contre la continuité de la vie équivaut à emprisonner, affamer et décimer la vie.
    Depuis que l'homme a inventé les frontières,il s'est inventé la pire des barbarie, celle du cloitrement des plus faibles à la faveur de l'hégémonie des plus forts.
    L'homme piégé s'affame et se révolte enclin au sacrifice d'une vie devenue calvaire insuportable
    L'animal lui subit l'extinction ou au mieux la vie cloitrée de réserves et des zoos!
    L'intelligence de l'homme risque d'être une malédiction pour la terre, pour la vie.

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  2. Sincèrement,c'est une bonne analyse que tu nous présente là kalimate. j'ai lu Un passager de l'occident de Nabil FARES cela fait longtemps, aujourd'hui grâce à ta lecture,je revois ce qui m'a échappé. et cette lecture,aussi brève soit-elle est une lumière qui éclaire de nombreux romans qu'on peut inscrire dans la même thématique de l'errance physique et aussi de l'errance morale. je peux citer Driss CHRAIBI notamment avec le passé simple et les Boucs, Boujedra avec l'escargot entêté, la colline oubliée de Mouloud Mammeri, la littérature maghrébine est riche pour ne citer que ceux là.
    Je note quand même deux termes importants: "la marge fascinante" et "la quête de la reconnaissance"...
    merci mon amie,
    Youssef.

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  3. BRAVO RIMEUSE KALIMATE tu m'as mise dans le passe antérieur que NABIL FARES se retrouve au milieu des notres avec des visages et des corps riches et des identités aleatoires errant dans le temps et l'espace .
    voilà ,avec toi je commence à faire des essais...à bientôt.

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  4. Aziouchka,de kalrimeuse drimeuse parles-tu?
    bravo pour les essais, je n'ai rien vu encore. que des pas timides cher, continue! riiiiiiiiires
    (je porte le masque du professeur)

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  5. Youssef, quel sage fais-tu!
    c'est vrai que c'est court et c'est exprès: c'est une partie de la conclusion d'un travail de 15 pages sur le passager de l'occident.
    je ne suis pas une critique, juste une modeste professeur et si mes lectures peuvent servir alors cela me fera énormément plaisir. je n'ai aucune intention de publier ou de tirer le moindre profit de mes textes qui se basent sur d'autres textes.
    sers toi sans modération, n'oublie pas de me citer .(sourire)

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  6. MG, tu me rappelles ,ami poète, la plus belle période de ma vie, celle du Retour à la faculté, ... j'adhérais à toutes les belles doctrines, humanitaire et autres. J'ai vieilli depuis, et la Terre des Hommes n'est plus la terre des hommes, une belle allégorie réside à la place: La Planète des Singes.
    merci.

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  7. I'm proud of you... you 're a beauty.
    anonymous

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  8. Avec toi on comprend enfin les paroles de Socrate : "connais toi toi même" ...

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  9. je me demande si le zero = le vide = nouvelle page...
    peut on écrire son histoire.. ou plus exactement est-il facile d'écrire son histoire?

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  10. Yugurta, hal 3indaka chak? riiiires.
    remets cela sur le compte des corrections du bac, sauf que à Marrakech le sujet portait sur Antigone et non la planète des singes.

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  11. Doudou, le zéro selon Fares, c'est l'anti-héros et non pas le vide ni la page blanche.
    Pour lui, le mouvement est le catalyseur de l'écriture, et dans son cas, le voyage favorise l'écriture.
    et oui! zaman les héros, les leaders est fini.
    la question qui porte sur l'histoire est bien ambigue et demande un philosophe pour y répondre ma douce amie.sourire.

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  12. Iwa assi ou lalla anonymous, allah izeyen iyamek.
    merci du compliment et j'espère que vous ne serez plus anonymous la prochaine fois.

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  13. C'est bien, un blog intéréssant, du moins, pour un début !!! Quoique, je ne suis pas d'accord, de ce que t'as écris " l'homme n'est pas un être achevé "
    Zarathoustra d'Alger

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  14. Kalimate, I would like to thank you so much for the time and the effort you put in to write these beautiful words and share them with all of us. It's such a breeze to read a piece of literature that has to do with Morocco. It made me miss Marrakech, it just takes me back and reminds me of lots of things (jama' lafna, la music et tout).
    Thanks I appreciate your effort but enough with the "solitude" stuff, you are not alone you have us.
    na

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  15. Linda, quelle belle brise sont tes paroles tissés d'amour et d'affection, je ne savais pas que le vent de l'ouest qui nous venait de loin est aussi doux et affectueux.(sourire)
    Sans vous,je ne serais pas là, je vous aime aussi.
    merci de me lire ma douce et gorgeous sister.

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  16. Zarhatoustra d'alger, ton passage philosophique m'honore, merci de me lire.

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