J’ai longuement hésité avant de commencer cette écriture de soi, je préfère cette appellation que de dire que c’est une autobiographie. Recourir à la mémoire pour remonter le temps et sonder ses secrets est un exercice dur est contraignant. Qu’est –ce que j’apporterais de plus ou de moins ? Tout a été dit avant, et même bien dit. Ma vie ressemble à celle de millions de filles maghrébines : les mêmes soucis, la même éducation, les mêmes craintes…
Et pourtant, rien n’est vraiment ressemblant.
Je souris pour ne pas en pleurer
Rire et cacher la douleur qui m’habite
Suffit… pleure plus …plus personne ne mérite
Rire, sourire ne dissimule plus rien
Le souvenir ma douleur vive
Sèches sont mes veines,
Un voile de gaieté, de légèreté pour ne rien laisser voir de ma peine ma vie, mes années de joies, assez des souvenirs, je ne puis les supporter
Je préfère ne rien dévoiler de moi, j’aurais beau dire écrire, pleurer…
Laisser planer cette atmosphère de tristesse…
Revenir dans le passé me chagrine ou ce sont ces notes de musiques qui me rendent mélancolique ? Je ne vois plus clairement mon clavier…mon étonnement est surtout pour cette vague de tristesse, cette brume tapageuse qui remonte en surface. Et pourtant j’ai vécu des moments agréables. Je peux même dire une enfance heureuse, naïve…des excursions en pleine nature, des baignades dans le grand bassin de la ferme _ malgré l’interdiction de grand-mère _ ce qui m’a valu des punitions sévères, parfois des châtiments corporels, mais ce qui me répugnait le plus c’était les crapauds. Ceux-là je ne peux les souffrir même maintenant alors qu’en ce temps-là, ma peur avait une autre raison : les contes que les femmes de la famille nous racontaient le soir. Des histoires peuplées de ‘jnoun’, qui se métamorphosent à merveille de crapauds en chèvre et parfois même en êtres humains ; leur univers est toujours autour des bassins d’eau, au milieu de la nature, entre les arbres, dans les champs de mais et habitaient les collines ou les maisons en ruines. J’ai mis longtemps pour comprendre que tout cela n’était que des histoires de vieilles femmes. Mais au moins, l’objectif de ces premières leçons dans la vie, était atteint. Cela m’a peut-être, ou sûrement, évité d’être violée ou tuée par des mâles frustrés.
Encore une histoire de mon enfance, la dernière ! Pourquoi s’en priver ? Je commence à prendre goût à cet exercice d’écriture. Jouer à l’écrivain. Pour moi, le fait d’être fille n’est aucunement un moins, c’était le plus qui me poussait à vivre normalement, la vie des petits enfants. Tout ce que les garçons étaient capables de faire je devais les dépasser. Et cela aurait pu tourner au drame maintes fois. Escalader les arbres, jouer au foot, mener des batailles, ne pas pleurer, souffrir en silence et supporter les coups, en donner , des compétitions bizarres : réussir à voler des melons des autres fermes ou des épis de mais qu’on grillait dans les champs. Une fois, j’ai failli mourir dans un canal d’irrigation à moitié plein d’eau. La performance était de glisser à travers ce tuyau, de 5m à peu près. Comme d’habitude, il fallait que je le fasse. J’ai glissé dans le tuyau, mais n’ayant pas pris tout l’élan qu’il fallait, je me suis bloquée au beau milieu. Je voyais l’eau me couvrir, je commençais à manquer d’air quand je sentis un coup dans mes épaules me propulsant hors du tunnel de la mort. C’était mon frère qui me sauva la vie. Après cette expérience, je suis devenue claustrophobe : plus question de m’enfermer dans les petits espaces, les ascenseurs…
Un autre exploit stupide me revient en mémoire. Je souris. Cette foi-ci, il n’y a rien qui m’emplit de fierté ni d’orgueil ! Je savais d’avance que c’était stupide, mais je voulais savoir à quel point je pouvais aller de l’avant dans la réalisation de mes caprices de petite fille _ou plutôt, garçon manqué, comme plaisait à ma sœur aînée de me taxer _entre nous, je n’avais rien d’un garçon, encore moins d’un garçon manqué. Donc, je jetais comme tous les garçons mon cartable dans une large flaque de boue. Aie ! Exploit lourd de conséquences pour une élève studieuse, excellente, disciplinée que j’étais. Ce jour-là, j’ai vu tant de peine dans le regard de mon professeur de français, SI Abdelaziz. Il ne savait plus comment gérer le problème, car c’en était un. Mon père fut convoqué et il n’y va pas de main molle quand il s’agit de l’instruction. Mais à ma grande surprise, je ne fus pas corrigée. Nous rentrions à la maison la main dans la main. Le lendemain, mon père m’offrit toute une collection de bande dessinée : zambla, bleck le rok, kiwi,walt disney…
A la fin de l’année, mon cher instituteur, m’offrit à son tour une collection de romans : le club des cinq, les aventures de naf-naf,nif-nif et nouf-nouf avec le grand méchant loup. » « La lecture avec un grand « l » est entrée dans mon univers et ne le quitta plus ».
Parfois il m’arrive de chercher la petite fille que j’étais. Elle me manque terriblement cette petite sauvageonne qui avait le cœur sur la main, une petite révoltée qui voulait faire sa justice, son monde dans un monde des adultes perverti par une tradition qui s’essouffle, une modernité galopante et des valeurs qui cèdent la place aux intérêts et à l’individualisme.